Le charme discret de la Vénétie

Publié le par jean-max mejean

Pour l'Ascension, je n’avais plus de ces délicieuses noix confites, conserve arméniennespécialité arménienne que j’avais achetée à Erevan et que je ne trouve pas à Paris. Je prenais mon petit-déjeuner, la ville dormait encore un peu, mes yeux n’étaient pas encore enclins à la mélancolie lorsque le téléphone sonna. Mon ami italien m’invitait pour ces quatre jours à Padova et Venezia. C’est dire que je ne mis pas longtemps à faire mon sac et réserver un vol sur un low cost qui s’avéra au retour proche de ce qu’en décrit le film du même nom ! Mais bon, les voyages forment la jeunesse et déforment les valises, on disait ça quand j’étais petit et naïf. Maintenant je sais que les voyages ne font qu'alimenter la mélancolie.

Là-bas, un soir, après avoir visité Arquà Petrarca, devant le paysage des Colli Euganei, près de Padova, alors que le soleil disparaissait derrière les nuages, j’ai eu la révélation du bonheur proche qui, vous le savez bien, en même temps s’éloigne à jamais. P6040095.JPG

C’est à ce moment-là que ma chère mélancolie m’étreint parce que je sais qu’Aragon avait raison, en même temps qu’on le tient, son bonheur on le broie. C’était le dernier soir, et j’avais pourtant découvert des merveilles. Un petit archange Gabriel à genoux dans un coin des fresques de Giotto épargnées par la guerre à la Cappella degli Scovegni link, alors que tout près, dans la chapelle Ovetari, les fresques de Mantegna ont été détruites par une bombe. Des étudiants d’une université toute proche s’emploient bénévolement à reconstituer chaque fragment de ce puzzle Renaissance. Quelquefois, l’ingéniosité et la générosité des hommes me réconcilient avec l’humanité. À Padova, et ses multiples places Renaissance, pas de doute on est bien en Italie et on boit à la fraîche des spritz rouge et or, je n’ai pas pu ne pas aller saluer saint Antoine dans sa basilique immense toute de marbre et d’or dont le luxe et la piété ambiante m’affolèrent. Je me réfugiai dans le cloître où trône un magnolia immense et plus que centenaire. Cette région d’Italie est recouverte de magnolias tous plus majestueux et fleuris que nulle part ailleurs, peut-être plus que dans ces contrées américaines d’où ils furent exportés.

Le choc, ce furent les villas palladiennes. Mon ami m’avait dit que j’y allais surtout pour ça. Je ne vais pas les énumérer toutes, mais je sais qu’elles me rappellent pour certains Don Giovanni de Losey link (Villa Pisani), notamment, mais leur charme est éblouissant. Depuis j’en cherche des modèles à Paris, j’ai comme l’impression que l’immeuble près de chez moi à Montmartre, rue Lamarck, s’en est inspiré avec une certaine mollesse parisienne qui rend tout triste et gris. Mais je me suis perdu dans le labyrinthe de buis comme dans Casanova de Fellini, heureusement une Minerve pas casquée mais si humaine, sorte de Saraghina, trône en son centre pour nous indiquer le chemin du retour. J’ai vu des cygnes noirs, moi qui n’en avais jamais vus. P6030015.JPG

Des mariages à profusion car c’est la mode maintenant de louer ces villas sublimes pour s’adonner aux joies tristes du mariage bourgeois en grand tralala, même dans cette villa dite ai Nani (des nains) car, dit-on, les propriétaires dont la fille était naine n’avaient engagé que des nains et des naines pour domestiques. Un château presque médiéval (Castello del Catajo) transformé peu à peu en villa sublime pleine de fresques de scènes de guerre.

numerisation0001.jpgDes terrasses à n’en plus finir et des canaux qui conduisent tous à Venise. Pour certaines villas, on y accédait même en gondole, comme Valsanzibio link, et on en rêve encore dans les chaumières, ça nous changerait de la télé. Je n’oublie pas non plus La Rotonda dont Goethe a vanté la stupéfiante beauté dans son Voyage en Italie.

numerisation0002.jpgIl faut la voir immense et altière, gravir ses marches arides pour pénétrer dans un sublime décor qui coupe le souffle. La Malcontenta la mal nommée était fermée en raison d’un mariage car la plupart de ces villas sont privées et du coup très chères à visiter et quelquefois fermées. Il vaut mieux téléphoner avant de se casser le nez. J’oublie Villa Valnogaredo et Palazzo Chieri Cati, mais tant de splendeurs, il faudra y retourner surtout dîner sur les Colli ou dans ce restaurant où le serveur s’est mis tout d'un coup à me parler en français. Et puis ce fut Vicenza autoproclamée « Città bellissima » dont je retiens surtout le magnifique théâtre Olimpico revu et corrigé d’une manière sublime par Palladio lui-même. P6040068On y donne des concerts à 3€ la place et même des opéras dans un décor inchangé (une ville Renaissance en stuc et trompe-l’œil) depuis des siècles, ça donne des ailes pour prendre un avion. Viva Italia !! surtout depuis qu’il Cavaliere a enfin du plomb dans l’aile quant à lui. La soirée à Venise, en pleine ouverture de Biennale, fut un délice dans une nuit douce. J’aime me perdre dans les ruelles et les canaux, c’est bien la seule ville où je perds mon sens de l’orientation. J’avais un guide heureusement qui s'employait à décrire le mal de vivre italien lui aussi, et l’inauguration de la Biennale surtout les œuvres de la Géorgie invitée pour la première fois m’inspirent une critique genre « bof » pour ces mondanités à  La Dolce Vita. Pour moi, l’art contemporain est devenu une boursouflure supplémentaire de la bofitude ambiante et de la vulgarité devenue, à cause de la mondialisation, universelle. Quel désastre ! Heureusement, toute l’Italie est à elle seule une œuvre d’art. Mon ami, historien de l’art, m’a bien expliqué que Venise a besoin de cet événement pour changer son image. Je veux bien le croire, mais est-ce que la Biennale chasse le tourisme de masse ? N’en entraîne-t-elle pas plutôt un autre encore plus prédateur parce que snob et indifférent, comme ces biennaleurs tout de noir vêtus dans la touffeur du sirocco qui se pensent franchement indispensables et modernes ?P6030005.JPG

JMM

PS : Rien à voir, comme d’hab, quoique... Alors que j’étais à San Francisco, j’avais vu la maison bleue de Maxime Le Forestier et je m’étais lamenté comme à mon habitude (la pleureuse du Net) parce qu’elle était verte (elle est d’ailleurs dans un style anglo-saxon, pas si éloigné en fait de l’idée de Palladio) link. Il paraît que, du coup, Maxime Le Forestier s’est rendu sur place pour la repeindre lui-même… en bleu. link  Tiens ça me donne la nostalgie de SF. Merci Maxime. 

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