Facteur, triste facteur !
La face du monde
Eût-elle été changée
Si le coureur de Marathon
Avait faxé au lieu de sprinter ?
S'est-il bousillé en vain
La rate et le pancréas ?
Et Madame de Sévigné
Si elle avait téléphoné
A sa fille en province
Au lieu de se manier la pince ?
Aurions-nous été plus heureux
De lire les mots de Dulcinée
Sur l'écran plat du Minitel jauni ?
3615 Amecaline ou Hameçon.
Et Descartes c'est sur du Vélin
Qu'il écrivait à sa reine de Suède.
Et verrait-on Dante surfer
Sur le Web cherchant sa Béatrice ?
dante@bea.it. Non !
Non, plus que jamais !
« Facteur, triste facteur »
Presse le pas et porte-moi
Des papyrus,
Des tablettes d'argile, de cire,
Des parchemins sentant le suint,
De vieux grimoires,
Des arcanes d'Arcadie,
Des feuilles volantes ou volées,
Des avions de papier,
De l'art postal, tu sais cet art en boîte de camembert,
Des morceaux de chiffon,
Des notes griffonnées,
Des lettres parfumées,
Du Vélin 3 Arches,
Du style quoi,
Des cartes postales, de vœux, de visite,
Du papier verre, de riz, d'Arménie ou de Prisu,
Et même le Saint suaire.
Mais, par pitié, pas de virtuel.
J'ai besoin que tu glisses
Ta lettre ou ton paquet,
Que tu sonnes,
Que tu dises bonjour
Et moi de répondre.
Je veux que son visage se grave
Dans les mots qu'elle trace
De sa main et que sa plume
S'enfonce tendrement
Dans ce papier qu'elle aime tant.
Presse le pas, facteur,
Car l'amour n'attend pas.